Ah bah c'est la faute à la technique, j'y peux rien
Publié le :
11/05/2018
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Trop facile pour les enquêteurs de se retrancher derrière la nullité de leurs ordinateurs pour éluder les droits du gardé à vue, répond opportunément la Cour de cassation, quand du moins la procédure parvient jusqu'à elle
Parce qu'avant, combien de juge n'y auront rien vu à redire.
Et combien d'enquêteurs comptent sur eux pour ne pas dénoncer un fonctionnement matériel précaire, et remettre en cause toutes leurs habitudes.
Il faut les avoir vu, les pauvres policiers, essayer de placer leur mini caméra sur une pile de Codes Dalloz datant d'il y a 5 ans, afin que le mineur apparaisse dans le champ visuel, ou de relancer pour la 5e fois le logiciel fourni par le Ministère dont j'imagine la brochure, recouverte de poussière, mourir au fond de l'armoire métallique, entre le gilet pare balles, les cartons de vieilles procédures pas encore traitées, et le fanion du PSG... Et pourtant ils se battent avec ça, ces fonctionnaires, parfois pendant des heures, sans les compter (enfin sur le moment en tout cas). Un mélange de vraie bonne volonté et d'amateurisme effrayant.
Mais quand le gardé à vue est un mineur, si influençable au ton d'un policier adulte et à une atmosphère pesante d'interrogatoire, il est capital, cet enregistrement audiovisuel.
C'est pourquoi, quand je retombe sur cet arrêt (Crim, 26 mars 2008, 07-88554), dans lequel la Cour de cassation était venue dire qu'elle ne voulait pas s'arrêter à des excuses trop courantes, je mesure encore mieux son apport, avec le recul que m'autorisent plusieurs années d'assistance aux auditions de garde à vue, depuis que la loi de 2011 l'a permise.
Elle l'avait déjà fait dans un arrêt précédent (Crim, 3 avril 2007, 06-87264), dans lequel elle avait validé une Cour d'appel qui avait magistralement estimé "que l'impossibilité, avancée par les fonctionnaires de police, de réaliser l'enregistrement audiovisuel de Saïd X... en raison d'un "problème informatique", ne suffit pas, en l'absence de toute autre précision, à caractériser la cause insurmontable qui justifierait l'omission de cette obligation légale".
Ici, ce qui est remarquable, c'est l'application qu'a mise la Chambre de l'Instruction de Versailles, au contraire, à essayer de sauver la procédure. On reconnaît bien là, la passion compulsive de certaines (qui a dit toutes ?) Chambres de l’Instruction.
En l'espèce, les enquêteurs s'étaient déjà heurté à une difficulté d'enregistrement le 5 septembre en interrogeant un premier mineur, mais avaient continué à en interroger d'autres les 6 et 7, et au moment de graver ces auditions, oh surprise, ça ne fonctionnait pas davantage, ils en avaient alors enfin informé le Procureur. Franchement n'importe quoi non ? Ah non, pas pour Versailles.
Premier argument de la Chambre de l'instruction : les enquêteurs "ont pu légitimement croire que le logiciel d'enregistrement... fonctionnait à nouveau de façon correcte". C'est une façon de voir les choses. Très optimiste au fond. Donc ma voiture est en panne aujourd'hui, mais que mon patron ne vienne pas me reprocher, si j'essaie de nouveau de l'utiliser demain, d'arriver encore en retard au travail, car je suis un poisson rouge, et je crois que chaque jour nouveau, la vie recommence, toute neuve.
Deuxième argument : "la panne n'a été détectée qu'en toute fin de garde à vue de ces cinq mineurs, au moment où il a été décidé de graver leurs auditions sur cédérom et que l'information a posteriori du procureur de la République aurait été sans incidence sur le déroulement des auditions déjà actées". Alors on rappelle que la veille, un dysfonctionnement avait déjà été décelé, donc la surprise au moment de graver, comment dire, c'est un peu tardif. Ensuite, dire que cela n'aurait servi du coup à rien de prévenir le procureur, c'est un point important, souvent invoqué, et sur lequel il ne faut pas céder. Le procureur, davantage juriste que l'enquêteur, aurait peut-être deviné qu'un problème de régularité se dessinait derrière tout cela; voilà à quoi ça sert de le prévenir de suite. Même si c'est un peu une vision idéale, car en réalité, le procureur, souvent débordé, et à la sensibilité juridique altérée, dira à ses enquêteurs de continuer à foncer. Mais ça, je ne veux pas y croire chaque nouveau matin, puisque je suis un poisson rouge.
Echelle de ludique (1) à technique (5) : 4
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