Quand on se heurte à la raison d'Etat

Quand on se heurte à la raison d'Etat

Publié le : 15/04/2016 15 avril avr. 04 2016

Avocat pénaliste jusqu'au bout, jusqu'à une infraction qui sonne mal : association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme

En fait, cette qualification impressionne le profane, pas les avocats ayant déjà eu à la traiter, et ils sont de plus en plus nombreux.

Elle est en effet un fourre-tout, bien obligé pour arrêter à temps des actions qui ne s'embarrasseraient pas des lenteurs de la justice, mais du coup voiture-balaie qui martyrise les principes traditionnels de la justice pénale et emporte avec elle toutes sortes de personnes, parfois très éloignées de la moindre intention d'action.

C'est le cas de mon client. Totalement radical dans ses options religieuses et géopolitiques certes, mais n'ayant pas nourri le moindre projet fatal, et en plus ayant gardé ses idées pour lui et son entourage (aucun délit de publication, donc). Une vraie question sur la liberté de conscience. La justice s'apprête à lui infliger des années de prison pour ses opinions.

Je ne suis pas le plus illustre parmi mes confrères pour écrire des lignes brillantes là dessus, et ce post n'en a pas l'ambition.

Je trouve néanmoins intéressant de relayer deux choses.

La première est une impression, que je restituerai d'ailleurs aux premiers intéressés le moment venu, lors de l'audience de jugement (on n'en est actuellement qu'à l'instruction) : à vouloir justement remplir une mission qui n'est pas la sienne, c'est-à-dire arrêter préventivement des individus qui devraient être traités par d'autres services de l'Etat, j'ai l'impression que la justice est hors de sa compétence. Jamais je n'ai vu les magistrats perdent leur nerfs à ce point lors des quelques audiences (notamment relatives à la détention provisoire), où j'ai eu le malheur de contester leurs thèses.

La deuxième est un point de procédure pénale, que j'ai tenté de soulever devant la chambre de l'instruction. Et pour une fois dans ce dossier, les magistrats, au lieu, pardon pour les termes, de m'aboyer dessus (je ne parle pas que de ceux de la chambre de l'instruction...), m'ont fait l'honneur d'une réponse vraiment juridique, même si je ne suis pas d'accord avec elle.

La question était de savoir si une note dressée par un surveillant pénitentiaire ayant écouté un dialogue à travers la porte de la cellule devait être annulée.

D'abord, était-elle annulable par nature, alors que versée en cote C du dossier d'instruction ? La réponse est positive.

Ensuite et surtout, devait-elle être annulée en l'espèce, en tant que procédé déloyal, ou attentatoire à la vie privée ? Un précédent jurisprudentiel, dans une cellule de garde à vue, donnait quelque espoir. Pour autant, la chambre ne m'a pas suivi.

Le combat ne me semble pas pour autant perdu, outre que je n'ai pas vérifié son sort en cassation (le client n'avait pas envie de s'épuiser dans ce combat sommes toutes secondaire dans le dossier, et je le rejoins là dessus) : comment prétendre reconnaître la voix de chacun quand il y a deux codétenus ? Le surveillant a-t-il une oreille ayant valeur d'expertise ? Affaire à suivre, aux bons soins de mes confrères.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 2

Historique

  • Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel
    Publié le : 01/11/2017 01 novembre nov. 11 2017
    Droit de la famille
    Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel
    Elle pensait faire corriger à la hausse la contribution à l'entretien et l'éducation des quatre enfants, c'est au contraire une des contributions qui a été supprimée pour celui qui était majeur et "oisif" L'arrêt n'a rien à voir avec le rugby, je cherchais juste une image de déroute, un peu fa...
  • Vous savez bien de quoi vous êtes coupable Monsieur...
    Publié le : 20/10/2017 20 octobre oct. 10 2017
    Droit pénal
    Vous savez bien de quoi vous êtes coupable Monsieur...
    Ce vieux préjugé imprègne tout le débat sur le degré de précision de la notification des faits reprochés au gardé à vue Je vais souvent au commissariat de Rosny sous Bois, pour des vols commis dans le centre commercial Rosny 2. Je m'y suis récemment agacé qu'une qualification de "recel de v...
  • De l'évaluation de la lucidité du gardé à vue lors de la notification de ses droits
    Publié le : 15/10/2017 15 octobre oct. 10 2017
    Droit pénal
    De l'évaluation de la lucidité du gardé à vue lors de la notification de ses droits
    La problématique n'est pas nouvelle, mais deux arrêts du 21 juin 2017 apportent une bonne illustration. Dans le premier (16-83599), c'est d'une notification tardive dont se plaignait le mis en cause. En effet, placé en garde à vue à 21h35 avec un taux de 0,75 mg, il voyait une première fois la...
  • Enfin un contrôle des motifs de recours à la garde à vue ?
    Publié le : 30/09/2017 30 septembre sept. 09 2017
    Droit pénal
    Enfin un contrôle des motifs de recours à la garde à vue ?
    Dans un arrêt du 7 juin 2017 (16-85788), faisant suite à quelques autres récents, la Cour de cassation fait comprendre au procureur que la garde à vue ne doit pas être un outil de gestion à la disposition de ce dernier. Lors de l'entretien en garde à vue, les clients me demandent invariablemen...
  • Aimer est-il un devoir du mariage ?
    Publié le : 30/01/2017 30 janvier janv. 01 2017
    Droit de la famille
    Aimer est-il un devoir du mariage ?
    La Cour d'appel de Paris manquerait-elle de romantisme, à force de voir défiler des dossiers de divorce ? Ou au contraire, dans une conception absolue de l'amour, considère-t-elle avec sagesse que celui-ci ne peut se réduire à un "devoir" ? Dans un arrêt du 17 novembre 2016 (pôle 3, ch. 3, n°...
  • Quand on se heurte à la raison d'Etat
    Publié le : 15/04/2016 15 avril avr. 04 2016
    Droit pénal
    Quand on se heurte à la raison d'Etat
    Avocat pénaliste jusqu'au bout, jusqu'à une infraction qui sonne mal : association de malfaiteurs en vue de la préparation d'actes de terrorisme En fait, cette qualification impressionne le profane, pas les avocats ayant déjà eu à la traiter, et ils sont de plus en plus nombreux. Elle est e...
  • Refaire sa vie au bout du monde sans couper les ponts avec son enfant
    Publié le : 25/01/2016 25 janvier janv. 01 2016
    Droit de la famille
    Refaire sa vie au bout du monde sans couper les ponts avec son enfant
    Partir, à des milliers de kilomètres, sur une île, rêve interdit quand l'autre parent reste en métropole ? Ma cliente avait déjà fait part au père de son enfant, de son projet, pour le moins original : partir loin, elle en avait besoin, pour se refaire une santé, dans un cadre plaisant (la Réu...
  • Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, si tu veux, mais pas devant le Cour
    Publié le : 16/10/2015 16 octobre oct. 10 2015
    Droit de la famille
    Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, si tu veux, mais pas devant le Cour
    La Haute juridiction rappelle en effet fréquemment aux juges du fond qu'elle n'apprécie pas que ceux-ci laissent l'enfant décider de sa résidence selon sa volonté. Je vais t'écouter, mais ce n'est pas toi qui vas prendre la décision, c'est moi qui porterait cette responsabilité", disent les ju...
  • Si, si, Monsieur est capable d'avoir les enfants en week end sans les faire mourir de faim ou mettre le feu à la maison
    Publié le : 12/10/2015 12 octobre oct. 10 2015
    Droit de la famille
    Si, si, Monsieur est capable d'avoir les enfants en week end sans les faire mourir de faim ou mettre le feu à la maison
    Un grand classique : quand Madame essaie de convaincre le juge que Monsieur est un homme, donc inconséquent (équivalent symétrique : Monsieur essaie de convaincre le juge que Madame est une "hystérique"), en général, ça ne fonctionne pas. "Il n'est nullement nécessaire... de satisfaire la dem...
<< < 1 2 3 4 5 6 7 ... > >>