Se constituer partie civile devant le Juge d'instruction, un droit toujours plus théorique

Se constituer partie civile devant le Juge d'instruction, un droit toujours plus théorique

Publié le : 02/02/2023 02 février févr. 02 2023

Dans le cadre du mouvement de réformes consistant à délester la Justice de presque toutes ses missions afin de (théoriquement) raccourcir ses délais de jugement (ce qui ne se passe absolument pas), la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 permet désormais au juge d'instruction de refuser d'instruire, sans véritable motif, en matière correctionnelle.

Auparavant, les refus d'informer étaient contenus dans des limites à peu près précises. Il fallait que les faits dénoncés par le plaignant ne constituent pas une infraction pénale, ou bien apparaissent "de façon manifeste" n'avoir pas été commis. 

Certes, il restait une marge d'appréciation dans le constat de ces conditions, mais la Cour de cassation veillait à ce que le juge d'instruction joue le jeu. Dès lors, celui-ci était un peu le dernier espoir qu'un magistrat enquêteur se penche avec objectivité et rigueur sur votre plainte, lorsque, pour diverses raisons, celle-ci n'était pas susceptible de "motiver" assez les policiers et le procureur (trop compliqué, pas prioritaire en termes de modes pénales, etc). C'était une illustration de l'Etat de droit, d'un certain idéal.

Désormais, l'article 86 alinéa 4 du Code de procédure pénale dispose que même lorsque des faits délictuels apparaissent commis par un majeur et constituent bien une infraction, le procureur "peut également requérir du juge d'instruction de rendre une ordonnance de refus d'informer, tout en invitant la partie civile à engager des poursuites par voie de citation directe".

Certes, il y a quelques conditions pour que sa porte se referme sur vous : cela  reste impossible lorsque l'auteur est un mineur, ou une personne morale, et surtout, lorsque c'est un crime.

Mais de toute façon, lorsque c'est un crime, le procureur, au moins, s'en soucie. Et s'il n'a pas cru bon de saisir un juge d'instruction, c'est a priori pour de bonnes raisons, autrement dit que l'infraction semble ne pas avoir été commise.

Pour la masse des délits, c'est fort différent : le procureur est "obligé" de trier au gros filet de pêche, comme susdit, et la victime n'a pas toujours de chance à ce jeu-là. C'est pour cela qu'il était précieux de pouvoir, éventuellement, solliciter l'attention d'un juge d'instruction.

Mais c'était un luxe. En fait, les juges d'instruction avaient rarement le temps de s'en occuper, et souvent, au mieux ils faisaient "semblant" en commettant un acte d'enquête tous les 3 ans, isolé au milieu de la déperdition des preuves, qui menait à un non-lieu inéluctable ; au pire, ils laissaient littéralement le dossier au fond du placard et ne l'ouvraient pas. Pour eux, c'était ça, ou risquer, dans d'autres dossiers, de casser un délai de détention provisoire, une recherche de preuve sur une affaire viol, etc. Alors votre plainte pour harcèlement moral contre votre voisin, comment dire... 

A cet égard, cette réforme n'est qu'une officialisation, ayant au moins le mérite de la transparence, d'une réalité qui tendait à la même chose, mais en plus sans le dire, ce qui faisait perdre à la justice pénale sa crédibilité.

Je généralise un peu ; il reste quelques plaintes délictuelles qui pouvaient - et pourront encore (il n'est pas obligé de s'en délester) ! Susciter l'intérêt d'un magistrat instructeur.  On peut toujours espérer, avec Pierre Gioanni, avocat au Barreau de Lyon ("Le refus d'informer du juge d'instruction revisité par la loi du 23 mars 2019 de programmation et de réforme de la justice...", GP 10 janv.2023, p 15), que ce sera le cas "lorsque des investigations apparaissent utiles... notamment pour la détermination d'une diversité d'infractions, d'une pluralité d'auteurs, ou... en matière d'infraction complexe, comme l'escroquerie"... Parfois oui, mais parfois, à l'inverse, c'est pour ces raisons que le juge d'instruction sera tenté de s'en débarrasser. Ce qui, nous expose l'auteur, risque de porter atteinte aux droits des victimes pourtant garantis par l'art. 6 CEDHLF, l'art. préliminaire CPP, et surtout la directive (UE) 2012/29/UE du 22 octobre 2012.

Reste donc la possibilité de saisir directement le tribunal. Pour ceux qui s'y sont essayés, bon courage : sur le plan formel, de multiples pièges vous font sentir que vous n'êtes pas le bienvenu (renvois, délais, obligation de consigner, de faire citer, etc), mais surtout, sur le fond, le tribunal n'ira pas se fatiguer à chercher des preuves à votre place. Or, précisément, c'était l'intérêt de saisir un juge d'instruction. 

Bref, soyez victime d'une infraction clairement prouvée, sinon, ça va être compliqué. Au moins, maintenant, vous le savez.
 

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