Les actualités
Tiens toi sage à l'aéroport

Tiens toi sage à l'aéroport

Publié le : 14/03/2018 14 mars mars 03 2018

Toujours vérifier le consentement du client à un plaider-coupable.

Ne vous contentez pas d'un avocat qui va découvrir votre procédure la veille de l'audience, quand ce n'est pas le jour même, pour se contenter de dire oui à 100 % des propositions du Procureur, ou, au mieux, gratter 100 € de réduction d'amende en deux mots d'observations dans une CRPC (tout ça parce que vous l'avez payé pas cher). Certes, parfois (souvent?), on ne va pas se mentir, on ne peut pas faire davantage si la procédure est régulière et le délit "banal" : on a alors toutes les chances de tomber dans le barème habituel du Procureur. C'est quand même pour ça qu'il a inventé cette procédure : pour que ça aille plus vite. Traduisez : pour que le tribunal bosse moins, en contrepartie de quoi, il vous tape moins dessus.

Mais même si on ne peut en sortir que dans une affaire sur 5, ou sur 10, on peut, on doit vérifier préalablement si c'est possible.

Ici, le dossier collectionnait les erreurs.

D'abord, la notification des droits en garde à vue était un sommet de nullité (au sens courant, autant que juridique !) : pas d'information sur la qualification des faits, ni sur le doit de garder le silence, ni sur celui d'être assisté d'un avocat. Joli score. Dans ces conditions, la qualité du consentement du gardé à vue à plaider coupable laisse à désirer. Surtout que si, formellement, ma cliente l'avait émis (mais du genre dans une phrase type copier-coller), c'était en complet décalage avec le reste de son audition, dans laquelle elle contestait les faits reprochés.

Pour l'anecdote : certes, elle avait bien tenté de lancer un téléphone de comptoir aérien au visage de l'hôtesse qui lui refusait l'accès à l'avion pour un sombre problème de tarification (mais c'était un de ces téléphones fixes comme il en existe encore quelques uns, attaché à un fil qui, au dernier moment avait retenu l'appareil avant qu'il n'atteigne sa cible, et lui était même revenu en pleine face); certes, elle l'avait peut-être tapé sur l'épaule; mais tout cela était, disait-elle, en réaction à un premier geste de l'équipage qui l'avait poussée dans les bacs à fleurs pour qu'elle "bouge de là" (dédicace à MC).

Il faut reconnaître que quand on se figure l'image, entre les fleurs et le téléphone, c'est assez drôle. Il n'en reste pas moins que, sans même se demander à ce stade du raisonnement si les explications étaient vraisemblables ou pas, l'accord de l'intéressée pour une CRPC était mauvais, et les Procureurs n'aiment pas le forcer - allez, donner l'impression de le forcer.

Bon, à ce stade, ça ne sent guère que le renvoi vers une audience classique, ce qui n'est pas forcément une affaire, sauf si la nullité de la garde à vue est susceptible d'entraîner une relaxe lorsque seuls des aveux fondent la poursuite, mais là, ce n'était pas le cas.

Car une vidéo était censée démontrer la caractère belliqueux de ma cliente. Or, illustration parmi mille autre de la précarité des services de poursuite dépassés par leur volume, elle n'était pas visionnable (ci-joint l'échange en ce sens avec le Parquet). Dommage, on ne verra jamais ce lancer de téléphone avorté.

Ne reste donc plus que la plainte, et alors vraiment plus qu'elle : pas de certificat médical pour attester du bleu sur l'épaule, aucun témoignage de l'équipage soit disant présent pour voir ça.

Donc là, non seulement l'audience classique ne me fait plus peur, mais je propose même au Procureur d'en faire l'économie, dans un courrier préalable. D'où mon propos introductif sur l'utilité, parfois, de travailler le dossier bien avant.

Le procureur me suivra, mais pas si facilement.

D'abord, il voudra se faire un idée en voyant quand même ma cliente à l'audience. Laquelle sait, aussi, se montrer calme.

Ensuite, il n'a pas décidé d'un classement "sec", mais seulement "sous condition", on peut donc dire que c'est davantage une alternative aux poursuites, qu'un abandon immédiat de celles-ci, qu'il a choisie (c'est peut-être pour ça que l'avis de classement contient un surprenant motif "les faits ayant déjà été jugés"). Il n'empêche qu'à la fin, cela revient au même si la condition a été remplie; et elle l'a été, en l'occurrence, puisqu'il s'agissait d'un stage de citoyenneté, effectué avec dévouement par ma cliente ("non je ne dois pas lancer un téléphone sur une hôtesse d'aéroport"). Il a donc fallu que j'attende de recevoir a confirmation du classement pour m'en assurer, mais une fois reçue, je peux l'afficher avec joie. Le casier reste vierge.

Echelle de ludique (1) à technique (5) : 2

Postérité de cet article (11/04/18) :

A noter que dans une autre affaire dont les faits se déroulaient également dans un aéroport, j'ai obtenu une relaxe, cette fois pour un pilote (cf actu du 11/04/18).

Historique

  • Tiens toi sage à l'aéroport
    Publié le : 14/03/2018 14 mars mars 03 2018
    Droit pénal
    Tiens toi sage à l'aéroport
    Toujours vérifier le consentement du client à un plaider-coupable. Ne vous contentez pas d'un avocat qui va découvrir votre procédure la veille de l'audience, quand ce n'est pas le jour même, pour se contenter de dire oui à 100 % des propositions du Procureur, ou, au mieux, gratter 100 € de ré...
  • Gérer techniquement un dossier bien sale
    Publié le : 14/02/2018 14 février févr. 02 2018
    Droit pénal
    Gérer techniquement un dossier bien sale
    L'infraction de détention d'image pédopornographique implique parfois un débat sur des paramètres informatiques Ce client m'aura décidément tout fait.  Impliqué dans une affaire de départ en Syrie pour aller y "approfondir sa pratique de l'Islam", capable de garder dans son ordinateur des d...
  • Déranger les époux combien de fois pour un divorce par consentement mutuel
    Publié le : 10/01/2018 10 janvier janv. 01 2018
    Droit de la famille
    Déranger les époux combien de fois pour un divorce par consentement mutuel
    Dans un divorce par consentement mutuel avec bien immobilier, il apparaît opportun de grouper, en une seule fois, signature du partage, de la convention de divorce, et dépôt chez le notaire. Même en consentement mutuel, où a priori la situation est moins conflictuelle qu'en contentieux, les ép...
  • Boire ou acheter une Rolls, il faut choisir
    Publié le : 13/12/2017 13 décembre déc. 12 2017
    Droit pénal
    Boire ou acheter une Rolls, il faut choisir
    Selon l'article L 234-12 du Code de la route, en cas de récidive de conduite en état alcoolique, la confiscation du véhicule est "obligatoire". Sauf si... ... sauf si la juridiction l'écarte, "par une décision spécialement motivée". Le mot "obligatoire" est donc trompeur - voire idiot. Il aura...
  • Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel
    Publié le : 01/11/2017 01 novembre nov. 11 2017
    Droit de la famille
    Comment échouer à plates coutures en Cour d'appel
    Elle pensait faire corriger à la hausse la contribution à l'entretien et l'éducation des quatre enfants, c'est au contraire une des contributions qui a été supprimée pour celui qui était majeur et "oisif" L'arrêt n'a rien à voir avec le rugby, je cherchais juste une image de déroute, un peu fa...
  • Vous savez bien de quoi vous êtes coupable Monsieur...
    Publié le : 20/10/2017 20 octobre oct. 10 2017
    Droit pénal
    Vous savez bien de quoi vous êtes coupable Monsieur...
    Ce vieux préjugé imprègne tout le débat sur le degré de précision de la notification des faits reprochés au gardé à vue Je vais souvent au commissariat de Rosny sous Bois, pour des vols commis dans le centre commercial Rosny 2. Je m'y suis récemment agacé qu'une qualification de "recel de v...
  • De l'évaluation de la lucidité du gardé à vue lors de la notification de ses droits
    Publié le : 15/10/2017 15 octobre oct. 10 2017
    Droit pénal
    De l'évaluation de la lucidité du gardé à vue lors de la notification de ses droits
    La problématique n'est pas nouvelle, mais deux arrêts du 21 juin 2017 apportent une bonne illustration. Dans le premier (16-83599), c'est d'une notification tardive dont se plaignait le mis en cause. En effet, placé en garde à vue à 21h35 avec un taux de 0,75 mg, il voyait une première fois la...
  • Enfin un contrôle des motifs de recours à la garde à vue ?
    Publié le : 30/09/2017 30 septembre sept. 09 2017
    Droit pénal
    Enfin un contrôle des motifs de recours à la garde à vue ?
    Dans un arrêt du 7 juin 2017 (16-85788), faisant suite à quelques autres récents, la Cour de cassation fait comprendre au procureur que la garde à vue ne doit pas être un outil de gestion à la disposition de ce dernier. Lors de l'entretien en garde à vue, les clients me demandent invariablemen...
  • Aimer est-il un devoir du mariage ?
    Publié le : 30/01/2017 30 janvier janv. 01 2017
    Droit de la famille
    Aimer est-il un devoir du mariage ?
    La Cour d'appel de Paris manquerait-elle de romantisme, à force de voir défiler des dossiers de divorce ? Ou au contraire, dans une conception absolue de l'amour, considère-t-elle avec sagesse que celui-ci ne peut se réduire à un "devoir" ? Dans un arrêt du 17 novembre 2016 (pôle 3, ch. 3, n°...
<< < ... 3 4 5 6 7 8 9 ... > >>